Interview du Pr Olivier Benveniste, réalisé par l’Association Institut de Myologie.
Olivier Benveniste, est Professeur des Universités – Praticien Hospitalier au sein du Département de Médecine Interne et Immunologie Clinique (DMIIC) à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Coordinateur du réseau national Myosites. Il dirige l’équipe de recherche « Myopathies inflammatoires & thérapies innovantes ciblées » au sein du Centre de Recherche.
Qui êtes-vous, quelles sont vos missions et où travaillez-vous ?
Je suis Professeur en Médecine Interne et Immunologie Clinique au sein du Département de Médecine Interne et Immunologie Clinique (DMIIC) de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui compte près de 100 lits. Je dirige le Département Médico Universitaire (DMU) 3iD (Immunologie, Inflammation, Infectiologie, Dermatologie) du groupe Hospitalo-Universitaire Sorbonne Université comprenant les hôpitaux de Tenon, St Antoine et la Pitié-Salpêtrière. Ce DMU est en première ligne sur le grand est parisien pour la prise en charge des patients infectés par le COVID-19. Dans ce DMU travaillent plus de 700 professionnels de santé.A la Pitié-Salpêtrière, le DMIIC est un acteur clé de l’aval des urgences du groupe hospitalier qui a aussi pour vocation la prise en charge des patients relevant de l’Immunologie Clinique, notamment maladies systémiques, maladies auto-immunes ou maladies auto-inflammatoires, aigues et chroniques. Le DMIIC englobe deux activités reconnues au niveau national et international pour leurs expertises : vascularités systémiques (Pr. Cacoub) et myopathies inflammatoires ou myosites (Pr. Benveniste).
Au sein de l’équipe 8 de recherche Inserm « Myopathies inflammatoires & thérapies innovantes ciblées » que je dirige à l’Institut de Myologie, nous travaillons sur des études de médecine translationnelle ciblées sur l’immunologie du muscle. J’ai la chance de pouvoir contrôler toutes les étapes du processus de médecine translationnelle, depuis l’identification immédiate des patients identifiés en consultation ou en hospitalisation, la caractérisation fine de leur phénotype, la saisie de ces informations dans une base de données, l’échantillonnage dans une bio banque, les recherches fondamentales partant de cette bio banque, la définition des meilleurs critères de jugement pour les essais cliniques, les études physiopathologiques « du laboratoire au chevet du patient », le développement d’essais cliniques académiques et/ou industriels, comme par exemple, l’essai Rapami testant la molécule rapamycine (siromilus) contre le placebo dans le cas des myosites à inclusion.
Comment se passent vos journées dans ce contexte de crise ?
Depuis le début de la crise sanitaire actuelle, je suis mobilisé avec mes équipes sur plusieurs fronts et nous devons sans cesse nous organiser et repenser notre façon de travailler.Je fais partie de la cellule de crise de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui se réunit chaque jour, à 11h00 tous les matins pour gérer toutes les urgences COVID. Nous sommes un groupe d’une quinzaine de personnes représentant chaque spécialité de l’hôpital et faisons le point journalier sur la situation à l’hôpital pour organiser au mieux les flux de patients, les visites, l’accueil des détenus, les soins, la réanimation, les gardes…
Côté Inserm, avec mon équipe de 12 personnes du Centre de recherche de l’Institut de Myologie, nous poursuivons nos travaux sur les myopathies inflammatoires. Nous avons lancé un appel à volontariat pour aider les équipes de la recherche clinique et comptabiliser chaque patient que l’on fait entrer en recherche COVID. Pour chaque patient inclus dans le protocole, nous devons enregistrer un formulaire CFR (Clinical Report Form). L’appel à volontariat a par ailleurs permis à certains membres d’équipes confinées de pouvoir se rendre utiles et d’apporter leurs compétences.
Nous travaillons également avec d’autres unités sur un essai « CORIMMUNO » de plus de 2000 patients avec une méthodologie commune et testons des approches anti-inflammatoires, des antiviraux ou autres thérapies ciblées sur des patients COVID.
Comment vivez-vous cette situation, vous et votre équipe ?
La situation est grave et inédite. Au tout début de l’épidémie, nous n’avons pu éviter le sentiment de peur face à l’exposition au virus, à devoir pratiquer des gestes de réanimation en salle, … Puis, vient la phase « d’excitation » quand on est vraiment dans le « faire » et qu’on déploie toutes nos compétences réunies pour faire face et sauver nos patients dans un véritable élan de solidarité.Il est rare d’avoir aussi « carte blanche » en termes de moyens et, dans cet état de crise, où il faut agir et réagir vite, des essais thérapeutiques ont pu être mis en place très rapidement.
Une difficulté majeure est de tenir sur la durée et de faire reculer les limites car on vit en permanence dans la peur de perdre des patients, d’avoir à prendre des décisions éthiques difficiles, dans l’angoisse de manquer de lits…
En quoi la recherche et les essais sont-ils importants dans ce contexte ?
Dans mon groupe de recherche, nous travaillons depuis plusieurs années sur les myosites à inclusion (myopathies inflammatoires). Nous avons mené il y a 3 ans, un essai pilote à l’Inserm, financé par l’AFM, pendant 1 an sur une quarantaine de patients âgés pour tester les effets de la rapamycine (immunosuppresseur) et mesurer l’évolution de l’état des patients traités versus une population similaire sous placebo. Les résultats ont été plus qu’encourageants.Dans l’attente de la validation de cet essai et de sa publication, nous avons pris la décision de traiter et de suivre plus de 200 patients avec cette molécule qui pourrait certainement s’avérer intéressante pour le COVID.
Un protocole observationnel a donc été mis en place avec des patients atteints de maladies neuromusculaires et traités sous Rapamycine qui nous permettra de vérifier a posteriori si la molécule a eu un effet bénéfique protecteur sur ces patients face à l’épidémie de COVID.